Robinsonia gracilis, Decne.

Hallé, Francis, Danton, Philippe & Perrier, Christophe, 2007, Architectures de plantes de l’Île Robinson Crusoe, archipel Juan Fernández, Chili, Adansonia (3) 29 (2), pp. 333-350 : 343-350

publication ID

https://doi.org/ 10.5281/zenodo.5187626

persistent identifier

https://treatment.plazi.org/id/03DD87C5-FFDC-FFBA-FF92-A4F92C39FCEE

treatment provided by

Carolina

scientific name

Robinsonia gracilis
status

 

gracilis Decne. View in CoL ( Fig. 10D View FIG ); Robinsonia masafuerae Skottsb. , endémique de Masafuera; Robinsonia thurifera Decne. , «Incienso».

LE MODÈLE DE SCARRONE

Le modèle de Scarrone nécessite une mention particulière; il n’est représenté sous sa forme typique que chez deux Asteraceae endémiques devenues extrêmement rares, dont la ramification en étages est clairement visible: Dendroseris neriifolia (Decne.) Hook. & Arn. dont il n’existe plus que deux exemplaires dans la Quebrada El Lapiz, mais qui est cultivé dans certains jardins de San Juan Bautista ( Fig. 11 View FIG ); et Robinsonia berteroi (DC.) R.W.Sanders, Stuessy & Martic. , disparu en 2004 d’une vallée forestière située sous le Mirador de Selkirk, en direction de l’ouest.

L’architecture de cette plante a pu être confirmée grâce à la photographie publiée par C. Skottsberg (1952: fig. 14; Fig. 12 View FIG ).

Le modèle de Scarrone présente à Masatierra une intéressante variante, dans laquelle se trouve maintenue la ramification en étages antérieure à la floraison; mais lorsque cette dernière apparaît distalement sur un axe, celui-ci se défolie et finit par mourir après la dispersion des fruits. La nécrose progresse vers le bas, soit jusqu’aux ramifications inférieures, soit jusqu’au niveau d’un ou plusieurs relais qui apparaissent postérieurement à la floraison.

Plusieurs mètres d’axes peuvent être perdus par cet étrange mécanisme qui n’est pas sans analogie avec la monocarpie du modèle de Holttum. Les axes morts ne sont pas soumis à élagage mais restent dressés au-dessus de la plante, offrant une forte prise au vent; leur disparition, par simple érosion du bois mort, peut nécessiter un à deux ans.

Cette variante du modèle de Scarrone a été trouvée par Skottsberg (1952) chez Robinsonia macrocephala Decne. [syn.: Symphyochaeta macrocephala (Decne.) Skottsb. ], dont il analyse et figure le mécanisme de croissance. Cette espèce endémique est actuellement disparue. Fort heureusement, cette architecture originale subsiste chez Dendroseris pruinata (Johow) Skottsb. dont un bel exemplaire a été vu au Cerro Alto ( Fig. 13 View FIG ) et Dendroseris micrantha (Bertero ex Decne.) Hook. & Arn. observé sous le rocher du Camote ( Fig. 14 View FIG ).

Cette même variante du modèle de Scarrone existe chez une endémique des Canaries, Aeonium holochrysum Webb & Berthel. , Crassulaceae , présente dans l’île Robinson Crusoe, et différentes autres espèces du genre Aeonium Webb & Berthel.

LE MODÈLE DE KORIBA

Le modèle de Koriba n’a été trouvé que chez Pernettya rigida (Bertero ex Colla) DC. , la seule Ericaceae de l’archipel, localement appelée «Murtillón» ( Fig. 15 View FIG ).

LE MODÈLE DE STONE

Le modèle de Stone apparaît chez une Grossulariaceae , Escallonia callcottiae Hook. & Arn. ( Fig. 16 View FIG ), ainsi que chez le «Boldo », Peumus boldus Molina , Monimiaceae , une plante médicinale chilienne plantée dans les jardins de San Juan Bautista.

LE MODÈLE D’ ATTIMS

Le modèle d’Attims est celui de Coprosma oliveri Fosberg , Rubiaceae ; Haloragis masatierrana Skottsb. , Haloragidaceae ( Fig. 17); Rhaphithamnus venustus (Phil.) B.L.Rob. , une Verbenaceae arborescente connue sous le nom de «Juan Bueno » et peut-être aussi de l’Urticaceae Boehmeria excelsa (Bertero ex Steud.) Wedd. qui semble pouvoir réaliser indifféremment ce modèle ou le suivant.

LE MODÈLE DE RAUH

Le modèle de Rauh occupe la deuxième place en fréquence et contient quelques espèces importantes pour l’écologie insulaire: Aristotelia chilensis (Molina) Stuntz , Elaeocarpaceae introduite, le «Maqui » ( Fig. 18A View FIG ); Boehmeria excelsa (Bertero ex Steud.) Wedd. , Urticaceae (voir ci-dessus); Cuminia eriantha (Benth.) Benth. , Lamiaceae ; Drimys confertifolia Phil. , Winteraceae , le «Canelo » ( Fig. 18B View FIG ); Fagara mayu (Bertero ex Colla) Engl. , Rutaceae , le «Naranjillo » ( Fig. 18C View FIG ); Ugni molinae Turcz. , Myrtaceae introduite, la «Murtilla »; Ugni selkirkii (Hook. & Arn.) O.Berg. , le «Murtillón ».

LE MODÈLE DE CHAMPAGNAT

Le modèle de Champagnat est celui du « Palqui», Cestrum parqui L’Hér. , une Solanaceae chilienne introduite ( Fig. 19), de la « Zarzamora », Rubus ulmifolius Schott , Rosaceae introduite ( Fig. 23 View FIG ) et de Berberis corymbosa Hook. & Arn. , Berberidaceae .

LE MODÈLE DE TROLL

Enfin, le modèle de Troll est représenté par la «Luma », Myrceugenia fernandeziana (Hook. & Arn.) Johow , Myrtaceae , qui est l’arbre le plus abondant dans les forêts de Masatierra ( Fig. 20 View FIG ). La plagiotropie généralisée du modèle de Troll est bien visible sur la jeune « Luma» en sous-bois; l’adulte a des axes dressés, une sexualité latérale et se conforme au modèle d’Attims.

Le modèle de Troll a également été trouvé chez la seule Flacourtiaceae de l’île, Azara serrata Ruíz & Pav. , chez la Fabaceae Sophora fernandeziana (Phil.) Skottsb. et Lactoris fernandeziana Phil. , endémique de Masatierra et membre unique de la famille des Lactoridaceae ( Fig. 21 View FIG ).

DIVERSITÉ ARCHITECTURALE ET LATITUDE

Avec 12 modèles recensés pour 4711 hectares, la flore de Masatierra est relativement riche en architectures, ce qui n’est pas surprenant, compte tenu de la latitude (33°). La diversité architecturale diminue à mesure que l’on s’éloigne de l’Équateur ( Hallé et al. 1978) et ce chiffre de 12 modèles paraît conforme au caractère «tempéré chaud» du climat de l’île.

Il reste à déterminer si ces données architecturales permettent d’interpréter, au moins dans une certaine mesure, la supériorité du trio Maqui-Zarzamora-Murtilla sur les endémiques et, inversement, l’évidente vulnérabilité de ces dernières.

L’ARCHITECTURE DES PESTES VÉGÉTALES

La liste ci-dessus concerne exclusivement les modèles et elle ne mentionne pas la réitération de ces modèles ( Hallé et al. 1978), autre composante de l’architecture végétale. La forme de croissance observée sur le terrain est un ensemble formé par ces deux composantes, le modèle et sa réitération.

Nous proposons l’idée qu’il existe une balance entre ces deux composantes: lorsque l’une augmente,

Architectures de plantes de l’Île Robinson Crusoe ( Chili)

l’autre diminue, d’où résulte un continuum entre deux situations extrêmes; quelques exemples sont ici nécessaires.

L’un des extrêmes est constitué par des plantes incapables de réitérer et dont la forme reste exactement, pendant toute leur vie, celle de leur modèle architectural: Cocos , Elaeis , Juania et beaucoup d’autres palmiers sont dans ce cas.

Une situation presque identique s’observe chez des plantes dont la réitération se limite à la régénération des axes amputés, ou des axes dont l’orientation initiale a été accidentellement modifiée: Cyathea , Dicksonia , Encephalartos , Cycas , Araucaria , Abies , quelques angiospermes comme Pandanus , Garcinia , Platonia , Allanblackia , Schumanniophyton . Cette situation est rare; elle ne concerne que des plantes anciennes, des arbres tropicaux pour la plupart, dépourvus d’aptitudes à la compétition entre espèces.

L’essentiel du continuum est constitué par des plantes chez lesquelles les deux composantes s’expriment, aisément visibles l’une et l’autre. En par- tant d’ Agathis , Sequoia ou Pinus , chez lesquelles la «composante modèle » est encore favorisée, on arrive à Quercus , Shorea , Eucalyptus , Vochysia , Aesculus , Terminalia ou Tectona , dont les deux composantes, modèle et réitération, s’expriment de façon équilibrée, sans hégémonie de l’une sur l’autre. Il ne semble pas que cette situation d’équilibre soit particulièrement propice à l’émergence de «pestes végétales»; bien entendu, l’architecture n’étant qu’un caractère parmi d’autres, cette émergence peut provenir des performances de la sexualité: Buddleja davidii , Ailanthus altissima ou Miconia calvescens pourraient être dans ce cas.

Enfin, à l’autre extrême, on trouve des plantes chez lesquelles le modèle se fait beaucoup plus discret, l’essentiel de la forme de croissance étant dû au mécanisme de la réitération ( Hallé et al. 1978) au sens large, y compris l’émission de rejets basaux ou de drageons, et la possibilité de marcotter spontanément. Les trois principales pestes des îles Juan Fernández sont dans ce cas, le Maqui, Aristotelia chilensis, la Zarzamora , Rubus ulmifolius et la

Hallé F. et al.

Murtilla, Ugni molinae . Ces plantes se comparent, sur le plan architectural, à des pantropicales comme Ximenia americana , Sambucus spp. , Lantana camara ou Chromolaena odorata .

Il semble que les pestes se recrutent préférentiellement chez des plantes dont la réitération montre une tendance à l’hégémonie. Chez le Maqui et la Murtilla, le modèle de Rauh est réduit à sa plus simple expression, avec un nombre d’étages de branches qui se limite généralement à deux, voire un seul; sur certains rejets basaux de Maqui, on n’observe aucune branche latérale et l’axe s’affaisse sans s’être ramifié: le modèle disparaît, submergé par la puissance de la réitération. En ce qui concerne la Zarzamora, le modèle de Champagnat est, en luimême, très peu contraignant puisqu’il n’est fondé que sur l’affaissement des axes successifs.

L’affaissement, dû à la gravité et à un bois peu abondant ou particulièrement souple, est un autre caractère de ces pestes, bien visible chez le Maqui

Architectures de plantes de l’Île Robinson Crusoe ( Chili)

ou la Zarzamora. Leurs axes affaissés meurent ou s’empilent les uns sur les autres en une couche épaisse de plusieurs mètres, dense, sombre et hostile (= roncier) qu’aucune plantule n’est capable de traverser: seules peuvent atteindre la lumière les réitérations basales émises par la Zarzamora ou le Maqui. Ce qui précède permet de comprendre la forme de croissance du Maqui ( Fig. 22 View FIG ).

La multiplication végétative est un facteur supplémentaire de l’agressivité des pestes. Le drageonnement et l’émission de rejets souterrains permettent à la Zarzamora de s’implanter de proche en proche et de gagner en surface au détriment de la flore locale qu’elle recouvre ( Fig. 23 View FIG ).

La multiplication végétative de la Murtilla se fait par l’émission souterraine, à des profondeurs variables, d’un réseau de stolons en arceaux ( Fig. 24 View FIG ), ne portant que des feuilles en écailles. Ces stolons sont ensuite capables de se dédifférencier, soit apicalement, soit latéralement, ce qui a pour résultat d’augmenter le volume du clone de Murtilla ( Fig. 25 View FIG ).

Ce syndrôme de caractères architecturaux qui confèrent l’agressivité végétative est vraisemblablement dû à une longue coévolution, sur le conti- nent d’origine, avec des prédateurs, notamment des mammifères herbivores; il vient s’y ajouter l’efficacité de la dispersion des graines, favorisée par l’avifaune locale (voir ci-dessus). Tout cela explique que le trio Maqui-Zarzamora-Murtilla constitue une véritable menace pour les espèces endémiques.

Ces dernières, par exemple les Asteraceae qui sont le symbole de l’endémisme insulaire – Centaurodendron , Dendroseris , Robinsonia , Yunquea –, ont un modèle architectural contraignant qui les prive de plasticité écologique; dépourvues à la fois de réitération, de possibilités d’affaissement et de multiplication végétative, elles ont, en outre, adopté des mécanismes de pertes d’axes ou de monocarpie, qui étaient adaptés au contexte paisible d’une île intacte, mais qui prennent un caractère «suicidaire » face aux pestes. On comprend la vulnérabilité de ces précieuses endémiques, dans la compétition avec le trio Maqui-Zarzamora-Murtilla. La dispersion des graines par le vent, si elle a permis à leurs ancêtres de s’implanter dans les îles, est un mécanisme trop aléatoire pour leur permettre de résister à l’avancée implacable des espèces zoochores.

UNE SOLUTION,

LE JARDIN BOTANIQUE

Dans le contexte actuel, la lutte contre les pestes végétales des îles Juan Fernández est sans espoir.L’arrachage manuel, pour efficace qu’il soit, consomme trop d’énergie pour pouvoir être étendu à l’échelle des îles: la population réduite et la topographie souvent vertigineuse rendent le problème inextricable.

C’est pourquoi, dans l’immédiat, il semble que la seule solution réaliste soit la création d’un jardin botanique. Situé à proximité du village de San Juan Bautista, ce jardin aurait pour vocation la sauvegarde des 137 espèces endémiques de l’archipel.

Au-delà de sa fonction biologique, au-delà de son attrait touristique, ce jardin permettrait à la population îlienne de manifester son attachement à un patrimoine naturel dont elle est fière et qui est partie intégrante de son identité culturelle.

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