MAMMALIA POUR FINIR
publication ID |
https://doi.org/ 10.5252/g2009n4a993 |
persistent identifier |
https://treatment.plazi.org/id/03D18796-9906-FFE8-03C0-03261557FC8D |
treatment provided by |
Felipe |
scientific name |
MAMMALIA POUR FINIR |
status |
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LES MAMMALIA POUR FINIR View in CoL
L’exemple du mammouth laineux montre comment les approches moléculaire et morpho-anatomique se répondent, se complètent, se confrontent et ouvrent, ensemble, des perspectives communes de recherche, touchant notamment au passage M. trogontherii / M. primigenius et à la dénomination même de ces deux taxons. Il s’agit là d’un moment privilégié dans la recherche phylogénétique. Les spécialistes de mammouths ignorent les cloisons disciplinaires.
Ce qui est vrai au niveau spécifique devrait l’être à l’échelle de la classe des Mammalia. À ce sujet, la confrontation des résultats morpho-anatomiques et moléculaires est déjà une vieille histoire. Cependant le dialogue entre les deux communautés que forment les paléontologues et les biologistes des molécules ne va pas toujours de soi. Peu à peu, l’inexorable ascension des approches moléculaires liées à des modélisations probabilistes a marginalisé l’apport des recherches morphologiques. Ces dernières n’émergent pratiquement plus qu’au travers de recherches paléontologiques, à partir d’analyses de parcimonie engendrées, le plus souvent, par la découverte d’un nouveau fossile majeur. En outre, les travaux paléontologiques intéressent souvent des groupes de placentaires, de marsupiaux, ou de thériens sans aborder le cadre des Mammalia in extenso. Force est de constater qu’actuellement persistent bien des contradictions entre les résultats moléculaires et les résultats morpho-anatomiques. À lire dans l’ouvrage dirigé par Rose & Archibald (2005) les articles écrits par les paléontologues et celui rédigé par les molécularistes, on peut presque se demander s’il s’agit bien des mêmes mammifères! Il y a là un double problème. Non seulement les sources d’information ne sont pas les mêmes mais, en outre, les méthodes analytiques sont différentes. Les modélisations bayésiennes des données moléculaires peuvent-elles être intrinsèquement comparées aux analyses de parcimonie des caractères morphologiques? Comment interpréter des groupements morphologiques induits par des fossiles avec des groupements moléculaires contradictoires? Cette question n’est pas nouvelle mais elle est en train de prendre un tour particulièrement aigu.
Pour un paléontologue cladiste un ordre de placentaire intégrant les données fossiles est défini par son morphotype ancestral, principe de base de la cladistique. L’ordre des Proboscidea , par exemple, a peu à voir avec la famille des Elephantidae si l’on pense à la morphologie crânienne et dentaire de Phosphatherium escuilliei de l’Éocène basal du Maroc ( Gheerbrant et al. 2005). À l’inverse, dans la nature actuelle Proboscidea = Elephantidae , en tout cas sur le plan des caractères moléculaires à comparer avec ceux des autres mammifères. Raisonner en morpho-anatomie comme s’il s’agissait de molécules est certainement source d’erreurs. On peut, de ce point de vue, citer le cas du travail de Cox (2006) qui a cherché à retrouver des caractères morphologiques sur le crâne de représentants actuels de taxons de rang supérieur: le caractère «perte du foramen lacrymal» est signalé chez les Proboscidea et les Sirenia ( Cox 2006: 518) alors que le foramen est présent chez les proboscidiens paléogènes et les siréniens paléogènes ( Tassy 1981: 116; Savage et al. 1994: 431; Gheerbrant et al. 2005: 247). Pour en rester aux Proboscidea et autres paenongulés, des travaux morpho-anatomiques tendent à soutenir le groupement issu de la biologie moléculaire des Afrotheria ( Tabuce et al. 2007) ou une partie des afrothères ( Wible et al. 2007) mais le débat existe. Il existe même pour pratiquement tous les regroupements profonds de la classe des Mammalia.
En matière de phylogénie des Mammalia, la morpho-anatomie est en passe d’être numériquement supplantée par les molécules, si elle ne l’est pas déjà. Les phylogénies moléculaires des mammifères s’accumulent depuis des années. L’assurance des molécularistes est d’ailleurs telle que Waddell et al. (1999b) allèrent jusqu’à proposer pour la couverture d’un numéro de Systematic Biology, un numéro sur l’origine des ordres de mammifères, un arbre moléculaire des Mammalia révolutionnaire, avec dénomination de taxons nouveaux pour les dichotomies profondes. Cet arbre n’avait toutefois pas été obtenu par un quelconque gène (et encore moins par concaténation) mais simplement par compilation «à la main» de certaines parties de divers arbres. On est loin ici du sacro-saint (et naïf?) binôme contrôle/ réfutation de la cladistique. Dans cet arbre où l’on découvre les groupes Atlantogenata et Laurasiatheria comme issus de la dichotomie de base des placentaires, figurent entre autres les Zooamata (situés à 70 Ma) avec les périssodactyles groupe frère des carnivores et des pholidotes. Je m’étais alors amusé à voir quels étaient les groupements moléculaires communs dans les différents articles formant le corps du numéro. Pour prendre l’exemple des périssodactyles – aux parentés relativement stables – on les trouve néanmoins indéterminés dans un clade comprenant également les pholidotes, carnivores et cétartiodactyles ( Gatesy et al. 1999: 17), ou groupe frère des carnivores ( Waddell et al. 1999a: 35; Penny et al. 1999: 83) ou de l’ensemble carnivorescétartiodactyles ( Waddell et al. 1999a: 40), ou bien indéterminé dans les placentaires ( Liu & Miyamoto 1999: 58) ou groupe frère des chiroptères ( Liu & Miyamoto 1999: 59), ou encore groupe frère des cétartiodactyles (représentés par la vache) aussi bien que de l’ensemble vache-hérisson ( Springer et al. 1999: 69). Autrement dit la parenté étroite périssodactyle-carnivores revient le plus souvent (deux fois) mais ce n’est pas cette parenté qui est retenue dans les Zooamata par Waddell et al. (1999b).
On me dira que des travaux moléculaires de dix ans d’âge n’ont plus besoin d’être commentés. De fait, depuis lors, les résultats moléculaires se sont accumulés pour être tout dernièrement synthétisés par Fabre (2008: 45) où est retenu le taxon Pegasoferae Nishihara, Hasegawa & Okada, 2006, dont la structure de parenté est (Chiroptera (Perissodactyla (Pholidota, Carnivora))); cependant deux publications moléculaires ( Matthee et al. 2007 et Springer et al. 2007) n’ont pas retrouvé ce taxon qui passe pourtant pour être fondé sur des insertions rares dans les rétroposons L1 ( Nishihara et al. 2006).
L’obtention d’un consensus entre données moléculaires n’est donc pas dénué de difficultés; celle d’un consensus avec les données morpho-anatomiques est par conséquent d’autant plus difficile à atteindre. Au point que Springer et al. (2007) ont tout simplement proposé d’abandonner une bonne fois pour toutes les données morphologiques puisqu’elles s’avèrent incapables de retrouver les clades de placentaires découverts par les molécules. La confrontation des données n’est donc plus à l’ordre du jour et, par voie de conséquence, si un tel point de vue devait orienter les recherches phylogénétiques futures, anatomistes et paléontologues n’en seraient plus. Ce n’est pas une mince suggestion.
Des deux sources d’information phylogénétique l’une d’entre elle, la morpho-anatomie, serait-elle de trop? Dans une réponse élaborée, Asher et al. (2008) ont, entre autres arguments, essayé de faire comprendre que sans données morpho-anatomiques il n’est pas de paléontologie, et sans paléontologie pas de possibilité de contrôle des propositions fondées sur les seules formes vivantes. La réponse de Springer et al. (2008) ne laisse de surprendre. Je ne retiens ici qu’un aspect de leur argumentation. La question du contrôle mutuel des résultats moléculaires et paléontologiques ne représente que 14 % de leur article; mais c’est surtout pour dire que les morphologistes doivent être soucieux de leurs propres difficultés et que «The problem of teasing homplastic (sic) morphological markers from homologous morphological markers will not simply disappear if ignored» ( Springer et al. 2008: 501-502).
La compétition n’excuse pas tout. Afin de faire comprendre ce que cette conclusion a de choquant je rappellerai trois choses. Premièrement, le concept d’homoplasie a été conçu – il y a longtemps, en 1870 – par un morphologiste (Edwin Lankester). Deuxièmement, un siècle plus tard le premier algorithme de parcimonie fonctionnant sans contrainte sur la partition homologie-homoplasie fut élaboré par des morphologistes (Arnold Kluge et Steve Farris).Troisièmement, les approches probabilistes à la source de presque tous les résultats modernes de phylogénie moléculaire – notamment ceux de Springer et al. (2007) – n’indiquent jamais précisément quel est ce rapport homologie-homoplasie (autrement dit l’homoplasie minimale dans les données); au contraire elles sont fondées sur une modélisation du comportement des nucléotides, ce qui est une manière de résoudre le problème de la saturation que je qualifierais, prudemment, de contournée (voir Debruyne & Tassy 2004). Quant à l’information exceptionnelle qui serait celle fournie par des insertions-délétions rares dans les séquences d’introns – rareté qui est d’ailleurs plus supposée que calculée –, elle est malheureusement nuancée à l’intérieur même des cercles moléculaires (rappelons l’exemple des Pegasoferae cité ci-dessus). Le couple homologie-homoplasie n’a pas fini de titiller les phylogénéticiens, toutes spécialités confondues.
Laissons la conclusion à Edgar A. Poe: «Savez-vous qu’il n’y a guère plus de huit ou neuf cents ans que les métaphysiciens ont consenti pour la première fois à délivrer le peuple de cette étrange idée: qu’il n’existait que deux routes praticables conduisant à la Vérité? Croyez cela, si vous le pouvez!» ( Poe 2007: 14).
No known copyright restrictions apply. See Agosti, D., Egloff, W., 2009. Taxonomic information exchange and copyright: the Plazi approach. BMC Research Notes 2009, 2:53 for further explanation.
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